“Les accidents de train ont augmenté en Angleterre après la privatisation”

C’est le totem d’immunité d’un socialiste lorsqu’un journaliste lui pose une question sur les privatisations, celui qui permet de couper court à l’argumentation. Les accidents ferroviaires auraient augmenté en Angleterre à la suite de la privatisation du chemin de fer britannique en 1995.

Notre modèle SNCF serait donc bien plus vertueux que le modèle britannique et il faudrait le préserver coûte que coûte. Pour effectuer mon analyse je me suis basé sur les articles Wikipedia retraçant la liste des accidents ferroviaires en France et au Royaume-Uni.

D’après nos hommes politiques socialistes, le nombre d’accidents a fortement augmenté à la suite des privatisations au Royaume-Uni. Si nous comparons les dix années précédant la privatisation aux dix suivantes, nous remarquons que 75 personnes ont perdu la vie dans des accidents ferroviaires entre 1985 et 1995 contre 83 entre 1995 et 2005. Oui le nombre de morts a augmenté mais nous sommes loin de l’horreur souvent décrite.

J’ai volontairement choisi de prendre une durée de 10 ans car c’est sur cette période 1995-2005 que se concentre la majeure partie des victimes d’accidents de train post-privatisation. Pour vous donner un ordre d’idée sur la décennie suivante, 2005-2015, le nombre de victimes est de … 7 !

D’autre part, le nombre très important de victimes entre 1995 et 2005 est dû pour plus de 35% à un accident survenu à Ladbock Grove en 1999. Le conducteur du train n’a pas respecté un signal de sécurité provoquant une collision à grande vitesse qui fera 31 morts.

Ainsi utiliser l’argument de la hausse des accidents pour tenter de discréditer les privatisations relève au mieux de l’incompétence au pire de la malhonnêteté intellectuelle. En effet, comme nous l’avons vu avec l’accident de Ladbock Grove, les statistiques sur les accidents ferroviaires souffrent de la loi des petits nombres. Un accident peut pousser à la hausse une série et donner une image erronée de la réalité.

D’autre part il faut rappeler que les nouvelles sociétés d’exploitation du chemin de fer ont hérité des infrastructures de la National Railway. Renouveler un réseau prend beaucoup de temps et s’avère très coûteux. Les accidents intervenus à la suite de la privatisation ont donc pour la plupart eu lieu sur des infrastructures “socialistes”.

Une fois cette affirmation remise en perspective, intéressons nous à la supposée vertu du modèle français de la SNCF. Pour cela j’ai compilé la liste des victimes d’accidents ferroviaires au Royaume-Uni et en France entre 1995 et 2015.

Nombre de victimes accidents ferroviaires 1995-2015

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Source : Wikipedia

Nul besoin de commenter ce qui apparaît comme une évidence : le modèle de la SNCF n’a pas permis de mieux assurer la sécurité des voyageurs français. La tendance depuis 2005 est d’ailleurs fortement en défaveur de la SNCF.

Les statistiques peuvent donc être utilisée dans les deux sens, à la fois pour dénoncer et encourager les privatisations. Nous ne démontrerons donc pas au travers des statistiques les méfaits du modèle SNCF.

Plongeons donc dans les ténèbres des comptes de la SNCF. La lecture de ces comptes est rendue particulièrement difficile par les changements réguliers de périmètre (séparation puis fusion des branches mobilités et réseau). Néanmoins voici les comptes consolidés pro-forma (incluant les deux entités) 2014 et 2015 de la SNCF :

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Un chiffre doit attirer votre attention, celui de 12 324M€. Le détail de ce chiffre est donnée dans les comptes de SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Il correspond à une constatation de pertes de valeur des actifs de la SNCF. Pour faire simple, la SNCF s’est rendue compte qu’elle avait surestimé la valeur des actifs à son bilan de près de 12 milliards d’euros. SNCF Réseau a subi la majeure partie de cette dépréciation à hauteur de 9,6 milliards d’euros. Une broutille quand on sait que ses immobilisations représentent 68 milliards d’euros.

Pas sûr que le banquier auprès de qui vous avez obtenu un prêt soit heureux d’apprendre que vous avez surévalué votre patrimoine de 15% pendant plusieurs années.

Parce qu’au cas où vous ne le sauriez pas encore, vous avez fait un prêt à la SNCF et ce prêt atteint la bagatelle de 50 milliards d’euros si vous combinez SNCF réseau et SNCF mobilités. Sachant que comme vous pouvez le voir ci-dessus la société est incapable de générer de la trésorerie, son free-cash-flow étant même négatif de plus de 2 milliards par an, vous pouvez être sûrs qu’elle ne remboursera jamais sa dette.

Je pourrais aussi vous parler du fait que la SNCF est un des premiers bénéficiaires du CICE, oui vous savez ce cadeau fait aux entreprises du CAC 40, et que sans ce crédit d’impôt son résultat annuel serait dans le rouge mais ce serait enfoncer encore plus une société en apnée depuis déjà trop longtemps.

Le problème intrinsèque de la SNCF est le fait que l’Etat fait supporter à l’ensemble de ses citoyens le choix de déplacement de quelques uns. Que vous utilisiez ou non le train, vous devez payer quoiqu’il arrive pour tous ceux qui l’empruntent.

Beaucoup de gens aiment les Ferrerro Rocher (votre serviteur y compris) pour autant j’ose espérer que vous n’imaginez pas que l’Etat subventionnera votre consommation. Pourtant les gens qui en consomment sont plus heureux, le chocolat qui les enrobe est riche en magnésium et stimule des endorphines. Les Ferrero Rocher sont donc des éléments qui créent de la cohésion nationale. Remplacer “Ferrero Rocher” par “train” et vous comprendrez alors toute l’absurdité des subventions liées à l’utilisation du train.

Je vais tous les ans en Lozère et je me suis risqué il y a deux ans à m’y rendre par le train. Le TGV jusqu’à Nîmes m’avait coûté 65€, le trajet Nîmes-Mende, 1€. La région Languedoc-Roussillon dans sa grande bonté avait fixé un prix du TER à 1€. Lorsque vous regardez le nombre de passagers sur la ligne en pleine saison et les travaux d’entretien nécessaires pour faire passer ce train au milieu des Cévennes, vous vous rendez compte du coût hallucinant de cette “politique de cohésion territoriale”.

Car oui le train permet de relier les territoires entre eux (ce qu’une voiture ou un bus ne peut pas faire par exemple) et donc les Français entre eux. Il est dès lors nécessaire de le subventionner ! (sic)

Ainsi la privatisation de la SNCF n’est pas nécessaire pour des raisons de sécurité ou de qualité de service désastreuse. Non l’enjeu majeur d’une privatisation de la SNCF est de faire payer aux utilisateurs de ce mode de transport le vrai prix du type de déplacement qu’ils ont choisi. L’Etat n’a pas à dire qu’un choix de consommation est meilleur qu’un autre, tout simplement parce qu’il en est incapable. La gestion de notre magnifique modèle ferroviaire français en est la preuve.

8 Comments

  1. Bonjour,

    Juste une faute de frappe ici : “…75 personnes ont perdu la vie dans des accidents ferroviaires entre 1985 et 1995 contre 83 entre 1995 et 1985.” J’imagine que c’est plutôt 2005.
    Cela ne change rien au travail accompli dans cet article.

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  2. Bonjour,
    Votre étude est intéressante et je vous remercie de l’avoir menée.
    Cependant j’ai du mal à la considérer comme valable car reposant sur des données de base Wikipedia qui sont elles-même manipulées par les pro et les contres privatisations. Tous comme les pro et les contres de tous les sujets politiques, économiques et écologiques actuels (sans parler de religion).
    De nombreux articles déplorent le travail des lobbys sur wikipedia. et aujourd’hui c’est plus facile d’analyser des données fausses que de trouver de vraies données, authentiques, vérifiées et validées.
    En l’état les conclusions pourraient donc être inverses si les données sont inverses.

    Qu’en pensez-vous?

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    1. Bonjour,

      Merci pour votre remarque, en effet si la qualité des données est insuffisante, leur analyse le sera également.

      Néanmoins, je vous invite à vous rendre sur les pages Wikipedia détaillant les accidents ferroviaires en France et en Angleterre au XX et XXIème siècles. Comme cela est le cas sur de plus en plus d’articles, ils sont extrêmement bien sourcés, les références sont disponibles à la fin de chaque article.

      Eddie.

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  3. Si l’argument des accidents n’est pas pertinent concernant le privatistion du service ferroviaire au Royaume Uni il y a de nombreux autres arguments qui semblent plus valables.

    “Résultat, les Britanniques déboursent chaque mois six fois plus que les Français simplement pour se rendre sur leur lieu de travail. 14% de leur revenu mensuel, très exactement, contre 2% pour les usagers de l’Hexagone”

    “Quatre train sur cinq en retard dans le Sud

    Sauf qu’en dépit des prix exorbitants, force est de constater que la qualité du service laisse à désirer. Usagers et conducteurs constatent les mêmes dysfonctionnements : retards à répétition, suppressions de trains et réduction des effectifs en gare.”

    https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/au-royaume-uni-la-privatisation-des-chemins-de-fer-deraille-628489.html

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    1. Bonjour Archibald,

      Merci pour les questions intéressantes que vous soulevez.

      Concernant le ressenti des Britanniques vis-à-vis de leur système ferroviaire, ce n’est pas ce qui ressortait en 2013 du baromètre de l’étude menée par la Commission Européenne concernant la satisfaction des Européens avec leur réseau de trains (http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/flash/fl_382a_sum_en.pdf). Oui les choses ont pu changer entre 2013 et 2018 mais globalement on se situait quand même 15 ans après la privatisation, nous avions donc un peu de recul.

      Quant au prix, il est caché en France par des montants de dette exorbitants à la fois au niveau de SNCF et au niveau des régions qui subventionnent massivement ce type de transport.

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      1. Oui hormis que cette dette est construite par l’Etat pour masquer ses engagements et préparer son désengagement.
        Sur la construction comptable des dettes des services publiques et leur enjeu politique : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2017-2-page-9.htm
        Et puis on pourrait parler du financement (initial avec les risques afférents et ensuite l’entretien depuis
        la privatisation) des routes par l’Etat et les régions qui dépasse celui du rail, la différence étant que les bénéfices sont privatisés. C’est ce qui attend le rail, la communauté paiera deux fois.
        Toujours la même rengaine : privatisons les bénéfices et socialisons les coûts.

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